Nabil Houhou : propriétaire du restaurant Dziri Fi Tokyo à Dzeriet :

« Je fais voyager virtuellement mes compatriotes algériens à travers mon contenu sur les réseaux sociaux « 

Nabil Houhou est une personne aussi audacieuse qu’ambitieuse. Originaire de la magnifique ville de Tipaza en Algérie, ce monsieur incarne la fusion harmonieuse de cultures et de passions. Son périple extraordinaire le conduit à travers les continents, des saveurs exquises de l’Algérie à la ville lumineuse de Paris, pour finalement s’épanouir au cœur du Japon.

Propriétaire du charmant restaurant « Dziri Fi Tokyo », Nabil a suivi le chemin de son destin avec une détermination inébranlable. Son histoire est celle d’un voyageur infatigable, d’un amoureux de la cuisine, mais surtout d’un homme qui est tombé amoureux du pays du soleil levant. Accrochez-vous, car le voyage inspirant de Nabil Houhou commence ici.

Quelle est votre vision pour intégrer les réseaux sociaux à la stratégie de promotion de votre restaurant à Tokyo ?

Au Japon, la promotion des restaurants sur les réseaux sociaux n’est pas nécessaire. En réalité, les Japonais ont une approche unique pour choisir un restaurant : ils consultent trois plateformes locales où les clients partagent leurs avis avec des photos et détaillent leur expérience.

Plutôt que de se fier aux descriptions fournies par les propriétaires sur la page du restaurant, les clients font confiance aux retours de leurs compatriotes. Au Japon, ce sont les clients eux-mêmes qui assurent la promotion. Les établissements les plus renommés se distinguent par leur service impeccable, leur design soigné et la qualité exceptionnelle de leurs offres.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours unique depuis l’Algérie jusqu’à votre installation à Tokyo ?

Je suis originaire de Tipaza, et depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours fait preuve d’excellence académique. Après avoir obtenu mon baccalauréat, j’ai entamé des études en industrie alimentaire à Boumerdes. Cependant, ma déception est survenue lorsque j’ai terminé mon cursus, car j’avais signé un contrat avec le gouvernement algérien qui limitait nos opportunités d’emploi en dehors du secteur gouvernemental. En conséquence, je me suis retrouvé au chômage, une situation qui, à l’époque, était malheureusement stigmatisée, assimilant les chômeurs à des personnes peu recommandables.

Pendant cette période, je faisais occasionnellement des séjours chez mon frère qui gérait un restaurant à Paris, où je travaillais durant deux ou trois mois à chaque fois. À ce stade, l’idée de m’installer définitivement en France ne m’avait pas encore effleuré l’esprit. Tout a changé un jour, lorsqu’une petite écolière de huit ans, qui me voyait assis sous un arbre avec mes amis toute la journée, m’a lancé : « Ne vous sentez-vous pas fatigué de rester à ne rien faire ? ».

Cette remarque m’a profondément choqué et a éveillé une nouvelle perspective en moi. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de poursuivre mes études en France, me spécialisant dans le domaine de l’agroalimentaire. Malheureusement, en raison de l’indisponibilité de l’original de mon diplôme, j’ai dû me tourner vers l’informatique de gestion à l’époque.

J’ai élu domicile à Paris, chez mon frère, et j’ai enchaîné plusieurs petits emplois pour assurer ma subsistance. Ma vie a été marquée par des périodes de réussite et des moments plus difficiles. Mon frère a finalement vendu son restaurant, ce qui m’a conduit à travailler dans des établissements de haute qualité et des palaces en France. Au cours de cette période, j’ai acquis une précieuse expérience et appris de nombreuses compétences. Cependant, mon ambition dévorante me poussait à viser plus haut. Je ne souhaitais pas me limiter à un poste de commis toute ma vie, car je savais que je pouvais rapidement gravir les échelons grâce à mon potentiel.

Comment avez-vous entamé une carrière dans la restauration ?

Mon intérêt pour le monde de la restauration s’est éveillé, m’entraînant dans l’art de la présentation, l’art de soigner la présentation de chaque assiette et l’art de l’hospitalité. Ma détermination à m’améliorer ne faisait que grandir, et à cette époque, j’étais devenu une personne très engagée. Bien que je n’aie pas encore exercé la cuisine à ce stade, j’ai eu la chance de travailler aux côtés de grands chefs étoilés dans des établissements de renom à Paris, tels que La Closerie des Lilas.

C’est là que j’ai commencé à m’imprégner de leur savoir-faire, à reproduire leurs plats et à percer leurs secrets culinaires. Mon immersion quotidienne dans la gastronomie française a fini par me transformer en chef cuisinier, presque à mon insu. Pendant cette période, alors que j’occupais le poste de maître d’hôtel à La Closerie des Lilas, j’ai eu l’opportunité de rencontrer le légendaire chef cuisinier français Joël Robuchon, décédé en 2018. Il m’a invité à travailler avec lui au Japon, une proposition qui marquait mon tout premier voyage dans ce pays, il y a de cela 21 ans.

À l’époque, j’ai passé trois semaines à découvrir la magnifique Tokyo, une métropole immense qui m’a dérouté. Je me sentais totalement dépaysé et, malgré une offre de salaire trois fois supérieure à celle que je percevais à Paris, j’ai finalement décidé de renoncer à cette opportunité pour retourner dans la Ville Lumière.

Votre épouse est Japonaise. Racontez-nous comment vous vous êtes rencontrés ?

De retour à Paris, j’ai croisé le chemin d’une jeune Japonaise, étudiante en architecture, venue en voyage touristique avec ses amies. Au départ, notre relation était purement amicale, une histoire qui a perduré à distance pendant trois ans. Elle est finalement revenue à Paris pour poursuivre ses études en architecture, marquant un tournant décisif dans notre histoire. Nos sentiments ont évolué, et nous sommes passés de l’amitié à l’amour, jusqu’à décider de nous engager mutuellement. Ma femme a vécu à mes côtés à Paris durant cinq ans, mais son attachement à son pays d’origine, le Japon, ne s’est jamais estompé.

C’est ainsi que nous avons pris la décision de nous installer à Tokyo, avec la ferme intention de faire le point après 18 mois sur l’évolution de notre relation et de notre adaptation à cette nouvelle vie. À cette étape, je savais que ma vie serait ponctuée de nombreux rebondissements et de défis passionnants à relever. Aujourd’hui, j’ai trois adorables enfants : Rami 13 ans, Lina 10 ans et Kenzi 6 ans qui sont inscrits à l’école française au Japon. Ils connaissent parfaitement la culture algérienne et connaissent nos valeurs. Je leur apprends l’arabe, la culture et les traditions.

Comment avez-vous décidé d’ouvrir votre propre restaurant ?

Lorsque j’ai posé le pied à Tokyo, j’ai entrepris de contacter de prestigieux restaurants et des chefs renommés, et ma solide expérience de près de 20 ans dans le métier m’a ouvert de nombreuses portes. Tous mes entretiens se sont avérés positifs. J’ai finalement décidé de rejoindre le groupe Global Dining, leader dans le secteur de la gastronomie en Asie. Mon choix initial a été de commencer en tant que commis, car je souhaitais tout d’abord comprendre le fonctionnement du travail dans ce nouvel environnement. J’ai ainsi passé cinq mois à apprendre et à m’acclimater.

J’ai commencé par occuper divers petits postes, puis j’ai organisé une réunion avec l’ensemble du personnel du restaurant, composé d’environ une trentaine de personnes. Lors de cette réunion, j’ai identifié les domaines dans lesquels nous devrions nous améliorer pour optimiser le service. C’est ainsi que j’ai progressivement été nommé directeur du restaurant, en charge du service et de l’hospitalité. J’ai consacré quatre années à travailler au sein de ce groupe, où j’ai également donné des cours aux jeunes recrues, allant jusqu’à leur enseigner des détails aussi minutieux que la marche et le travail en lui-même. J’ai baptisé ces cours « Nabil School ».

Ce n’est qu’après avoir pleinement compris l’esprit japonais que j’ai décidé de lancer mes deux restaurants à Tokyo. Le premier, un restaurant français, a connu un succès fulgurant pendant neuf ans, jusqu’à ce que je le vende cinq mois avant la pandémie de Covid-19. Le deuxième restaurant, qui compte 50 places assises, célèbrera son dixième anniversaire en avril prochain, et il prospère grâce à une équipe que j’ai formée et qui travaille à mes côtés depuis de nombreuses années. Cet établissement est le gagne-pain de plusieurs familles, et nous travaillons ensemble avec un esprit d’équipe et une quête perpétuelle de l’excellence.

« Les Japonais admirent leurs chefs d’entreprise, car ce sont des créateurs d’emplois qui incarnent l’exemple du dévouement. »

Vous vous lancez dans la création de contenu sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, vous avez quelque 15 000 abonnés, sur Instagram plus de 1 500 et sur YouTube plus de 10 000 abonnés. Pourquoi ce besoin de vous diriger vers le monde du digital ?

Pendant la période de la pandémie de Covid-19, j’ai trouvé du réconfort en préparant de délicieux plats que je partageais avec mes amis algériens sur les réseaux. La solitude que nous ressentions, en tant qu’Algériens établis au Japon en petit nombre, était parfois accablante. Partager nos recettes était une façon de rester connectés. À cette époque, mon neveu m’a suggéré de créer du contenu sur YouTube pour rapprocher ma communauté algérienne. Cette idée s’est avérée être un lien précieux entre mon monde ici au Japon et ma patrie, l’Algérie. Cela me permet également de faire voyager virtuellement mes abonnés au Japon.

Sur Facebook, j’organise fréquemment des diffusions en direct où je partage mon quotidien au Japon avec mes abonnés. J’y présente également la diversité de la gastronomie japonaise qui m’inspire. Actuellement, sur ma chaîne YouTube, je me consacre à la cuisine japonaise et j’essaie d’inspirer les Algériens à préparer des recettes japonaises chez eux. Mon objectif est de créer un pont culinaire entre deux mondes, tout en partageant ma passion pour la cuisine japonaise avec ma communauté.

Quel message donnerez-vous aux Algériens qui cherchent à réussir ?

Le message que je transmettrai aux Algériens aspirant à la réussite serait de faire preuve de sérieux dans leur métier. Maintenez toujours une attitude d’apprentissage perpétuel. Évitez de vous enfermer dans l’idée que vous maîtrisez parfaitement un domaine, et restez ouverts à l’évolution constante. Investissez-vous pleinement dans votre travail, car le sérieux et l’engagement finissent toujours par porter leurs fruits.

Propos recueillis par : Dalila Soltani