La cuisine traditionnelle algérienne à l’ère de la malbouffe

Riche héritière des saveurs millénaires, la cuisine traditionnelle algérienne demeure un pilier culturel de l’identité du pays. Néanmoins, avec l’avènement de la mondialisation et le rythme de vie effréné qui en résulte, le penchant pour des repas faciles et rapides gagne du terrain. Cette cuisine ancestrale saura-t-elle relever ce nouveau défi ? Par Meriem. K.

Gastronomie algérienne : entre tradition et appétits pressés 

Des plats emblématiques tels que la chorba, les tajines, le couscous et les pâtisseries orientales laissent place désormais aux frites, pâtes, pizzas et burgers dits plus « pratiques » au vu de la facilité et de la rapidité de la préparation de ces derniers. Face à l’évolution des modes vie, la tradition culinaire algérienne se voit menacée et se retrouve de moins en moins présente sur les tables qui, autrefois, réunissait les familles et régalait les papilles.

Ce délaissement culturel reste un phénomène qui nous pousse à questionner la transmission de ce patrimoine culinaire regorgeant de parfums subtils, de saveurs exotiques et de savoir-faire séculaire. En effet, nos mères et nos grand-mères jouent un rôle central dans la préservation de ces savoirs ancestraux. Les actes précis, les mélanges d’épices secrets, et les techniques de cuisson propres et spécifiques présentent tant d’héritages qui se transmettent de génération en génération, créant et retissant ainsi un lien fort entre le passé et le présent.

Cependant, à une époque où les personnes font une course contre le temps, les plats préparés, les repas express et les fast-foods deviennent des alternatives plus séduisantes et qui attirent de plus en plus de monde, les poussant ainsi à déserter les plats traditionnels. Ces derniers, demandant un plus grand temps de préparation et de cuisson, font face au défi de la mondialisation qui bouleverse les habitudes d’une société où le repas en famille constitue toujours un moment phare de la journée. Cette tentation pour la facilité et la rapidité peut être perçue comme une réponse à la vie moderne mouvementée et dynamique. Un changement qui résonne comme une sorte de révolution culturelle.

Témoignages de gourmets : entre souvenirs culinaires et contraintes modernes 

Les témoignages suivants illustrent bien le dilemme auquel sont confrontés certains amateurs de gastronomie algérienne, partagés entre l’envie de cuisine traditionnelle réconfortante et le manque de temps ou de moyens pour la préparer :

« Les plats de ma région natale me manquent beaucoup depuis que je vis en ville pour mes études. Les restaurants traditionnels sont rares et chers, quant à moi, je n’ai ni l’argent ni les moyens de cuisiner ces plats traditionnels dans mon petit studio. Du coup, je me contente de consommer du fast- food pas cher », raconte Karim, étudiant.

« Je suis une grande fan de plats comme le couscous ou le tajine. Mais, avec mon travail et mes deux enfants, je n’ai que très peu de temps à consacrer à la cuisine. Je me tourne donc souvent vers des solutions de repas plus rapides, même si elles sont moins savoureuses. J’aimerais pouvoir cuisiner plus souvent les délicieuses recettes que ma grand-mère me préparait, mais c’est compliqué au quotidien », témoigne Nadia, jeune mère.

Des initiatives encore timides, mais bien présentes

Face à cette évolution inévitable, des initiatives ont commencé à émerger afin de concilier ces deux univers, à l’exemple des nouvelles chaînes de cuisines sur YouTube qui présentent des versions de plats traditionnels simplifiées et adaptées aux contraintes du temps. D’autres ouvrent des restaurants traditionnels où les gens locaux autant que les touristes apprennent et retissent des liens avec leur culture.

Mais, pour l’instant, ces efforts restent insuffisants au vu de la concurrence des enseignes, parfois même internationales, de la Junk Food. Celle-ci, accentuée par la crise sanitaire liée au Covid-19, répond aux besoins des personnes fatiguées et pressées de se nourrir, proposant même des services de livraison à domicile. Le symbole même de ce qu’on pourrait nommer « échec de transmission » serait le pain. Ce dernier passe de la galette traditionnelle appelée Kesra, dont la préparation passait par le four à bois, au pain industriel à prix réduit.

Moderniser sans oublier : comment sauver la tradition ?

Il est d’une nécessité urgente de reconnaître la valeur vitale de la cuisine traditionnelle qui est une partie intégrante de l’identité d’un peuple. Et si celle-ci se met à disparaitre, c’est une part de l’identité de la société qui s’efface également. Alors, plus que jamais, le défi serait de réinventer la cuisine traditionnelle algérienne afin de la rendre désirable auprès des nouvelles générations ainsi que celles à venir, en particulier les personnes résidant dans les milieux urbains.

Des possibilités s’offrent à nous pour préserver ce riche patrimoine, telles que : la valorisation et la mise en avant d’astuces et de techniques culinaires qui faciliteraient la préparation de certains plats. Le fait de miser sur la cuisine de saison serait aussi une manière de défendre et d’honorer un art de vivre, celui de « bien manger ».  D’ailleurs, les chefs cuisiniers jouent un rôle majeur dans la préservation des repas traditionnels. Ces derniers peuvent, en puisant de leurs créativités, moderniser et revisiter les recettes afin qu’elles soient plus au goût de la jeunesse.

La réalisation de versions « Street-food » pourrait également jouer en la faveur des traditions. En effet, Chakhchoukha, Brick et Baghrir revisités et twistés au goût et à la mode du moment permettrait de créer, d’encourager et de susciter un intérêt et un engouement nouveau. 

Enfin, les pouvoirs publics algériens devraient accompagner et encourager financièrement les petits producteurs locaux ainsi que les nouvelles start-up. Ceci peut aussi se faire à travers l’organisation de festivals culinaires et de circuits touristiques à travers tous les recoins du pays.

Un patrimoine entre nos mains !

En conclusion, il est vrai que seule une stratégie globale permettra de relever le défi de la modernisation et de préserver les racines gastronomiques algériennes, mais cette mission revient à chacun d’entre nous. La cuisine algérienne, aussi savoureuse qu’identitaire, traverse une phase déterminante de son histoire. Face aux sirènes de la malbouffe, elle peine à séduire les nouvelles générations. C’est pourquoi, le combat de la sauvegarde de notre gastronomie continue, afin que nos cœurs et nos papilles restent à jamais conquis par les douces saveurs de l’Algérie.