Shrek à Alger : bye-bye le permis de conduire…

Suivez les péripéties palpitantes de notre héroïne, entre arnaques de taxi, examen de conduite stressant et retrouvailles inattendues avec un personnage inattendu. Par Celia Ouabri

– Arrêtez-vous ici, ça ira !

Le chauffeur de taxi pille net, vrille la tête à 180 degrés et m’annonce la couleur.

– Cent-soixante dinars, Mademoiselle !

Je règle la course sans protester. J’étais si pressée en m’engouffrant dans le taxi tout à l’heure que je n’avais pas remarqué que le conducteur n’avait pas enclenché son compteur. Cent-soixante dinars pour un trajet d’à peine deux kilomètres, sans embouteillage en plus ! C’est vraiment abusé ! Ça pue l’arnaque. En d’autres circonstances, j’aurais provoqué un esclandre. Je ne suis ni la fille de Rothschild, ni celle de Rockefeller, tout de même !

Une journée qui s’annonce bien

Mais là, réellement, je suis à la bourre, alors je presse le pas et j’arrive aux ‘Barreaux Rouges’, un peu essoufflée. La cité des 200 Colonnes de Climat de France, construite par Fernand Pouillon en 1957, s’étire langoureusement après une courte nuit. La mer entre gris et bleu moutonne à l’horizon. Les macchabées du cimetière d’El Khettar font la grasse matinée. Cette journée pourrait avoir un goût de miel si je repartais avec le précieux sésame en poche. J’adresse une prière secrète à Dieu. « Seigneur, faites que ça marche, je vous en supplie ! ».

Entre stress et espoir

En arrivant sur le lieu de l’examen, je découvre un peloton de candidats, faisant le pied de grue. Trois gars, deux filles. Je me joins à eux, sur le trottoir.

Il est 9h passée de 10 minutes et le moniteur est visiblement en retard. C’est la dernière ligne droite avant l’obtention de mon permis de conduire. J’ai enfin trouvé le job de mes rêves : chargée de communication dans une boite de pub, mais c’est au bout du monde : à Sidi Abdellah, banlieue sud-ouest d’Alger, autant dire au diable Vauvert. J’habite place du 1ᵉʳ Mai, ex-Champ de Manœuvre. J’ai compté. Soixante-cinq bornes à parcourir en aller-retour chaque jour. Je me suis ruinée en taxis alors que la vielle Picanto de mon père fraîchement retraité est garée dans le quartier.

Le code, je l’ai décroché du premier coup. En revanche, il a fallu m’y prendre à trois reprises pour obtenir mon créneau. Croisons les doigts pour que tout se passe bien aujourd’hui.

Le défi du permis

L’une des deux filles me dévisage avec un sourire crispé. Les cheveux ramassés en tomate au sommet de son crâne, elle se ronge furieusement les ongles.   

– J’espère que l’inspecteur de conduite sera clément avec nous !, dit-elle en tordant la bouche. J’ai déjà été recalée quatre fois.

Je souris et respire un bon coup. M’agiter comme un asticot ne servirait à rien ! J’ai pris pas mal de cours, je me sens en confiance.

Un tour de cadran plus tard, une voiture déboule dans le circuit de l’examen. Le panneau de toit porte la mention ‘auto-école’. L’inspecteur balaye l’assistance du regard. Ses yeux, deux petites billes noires, font du trampoline dans ses globes oculaires. Ses traits sont durs et son air hautin. Je me liquéfie sur place. Je l’ai reconnu. Il ne m’a pas vue, moi si !

– Qui veut ouvrir le bal ? Lance-t-il sur un ton sarcastique, en baissant sa vitre.

Je recule d’un pas, puis de deux. Je rase le mur de soutènement avant de détaler comme une voleuse. Maintenant, je tourne le dos à la cité de Pouillon et avale les deux kilomètres qui me séparent du Ministère de Défense Nationale. Les images se bousculent dans ma tête. Sur les réseaux sociaux, j’avais cliqué un gars mignon.

Plus jamais de date à l’aveuglette

Il avait des dents bien blanches et le menton poinçonné d’une jolie fossette. Il disait qu’il travaillait au barreau d’Alger, ce qui ne gâchait rien à l’affaire. On a papoté pendant deux semaines en virtuel. Et un jour, il m’a invitée à prendre un café. En arrivant sur la terrasse du jardin de l’hôtel Saint-George, j’ai cherché mon ‘date’ du regard. Personne ne répondait au signalement de la photo de profil de mon Roméo. J’ai pensé que ce n’était pas élégant de me faire poiroter et je m’apprêtais à tourner les talons quand une main boudinée s’est soudain agitée, sous le parasol.

Un trapu ventripotent, au visage orné de deux billes noires, me souriait benoîtement. Il affichait la cinquantaine bien tassée et tétait une paille plongée dans un mojito. J’allais prendre la poudre d’escampette puis me ravisais. « Tebâa el kedab, hata bab eddar, ‘poursuit le menteur jusqu’au seuil de sa maison’ » disait ma grand-mère. Je me suis approchée lentement de la table en fer forgée.

– « C’est moi Djamel ! On avait rendez-vous ! »

Shrek était attablé à la terrasse du jardin luxuriant du Saint-George. Il ricanait, sûr de lui, découvrant une dentition accidentée. Le quinqua avait osé se fabriquer un faux-profil sur Facebook, et pensait que ça passerait crème.

Je n’ai pas pris de gants.

– Espèce d’enfoiré ! Lançais-je avant de prendre la tangente.

Shrek s’est figé sur place. J’ai eu le temps de voir sa mine déconfite et ses joues en feu. Les autres clients le dévisageaient mi-curieux, mi-amusés. Chah ! J’ai fui les lieux en me jurant de ne plus jamais faire mon marché sur internet.

Je ne pensais pas revoir mon ‘date’ de sitôt. Et voilà que le destin remettait Shrek sur mon chemin. Inspecteur d’auto-école ! Fallait que ça tombe sur moi ! Et le jour de mon examen, en plus ! Quelle poisse ! Champ de Manœuvre-Sidi Abdellah, au volant de ma voiture, ce n’est pas demain la veille !