Pomponette : chronique d’une femme moderne

Plongez dans le récit touchant d'une femme en quête de sens et de chaleur humaine dans un monde superficiel. Par Celia Ouabri

Pomponette (c’est comme ça que ses faux-amis l’appellent) a déjà passé plus d’un demi-siècle sur terre. Pour rester jeune, elle rend visite à son esthéticienne. Tous les six mois, la praticienne lui injecte de l’acide hyaluronique sur le front, les pattes d’oie et sur les lèvres.

En quête de jeunesse

Pomponette a la bouche gonflée. On dirait un mérou. Elle se reluque la tronche dans la glace. « Je ressemble à Jennifer Lopez » se rassure-t-elle. Pour financer ses dépenses : fringues, sacs, produits cosmétiques, elle chasse.  

Non, pas dans la forêt pardue, mais sur Internet. Les réseaux sociaux pullulent de mecs pleins aux as. Pomponette a sa méthode pour débusquer le bon gibier. Mettre une photo d’elle, exhibant ses attributs féminins ou ce qu’il en reste, et attendre que le poisson morde à l’hameçon.

Plus jamais de livret de famille !

Pomponette a déjà été mariée trois fois. Ses conjoints, qu’elle a éblouis avant les épousailles, ont fini par prendre la poudre d’escampette. Deux mois pour le premier, huit mois pour le second et un an et quatre jours pour le troisième. 

Maintenant, Pomponette se dit échaudée par les hommes. « Plus jamais de livret de famille » jure-t-elle. « J’en ai marre de divorcer ! ». La quinqua ne prend que des amants, avec un fort pouvoir d’achat. Veufs ou divorcés pour la plupart, cheveux grisonnants et ventre bedonnant, elle s’en fiche. Elle sait qu’elle aussi n’est plus de fraîche date. Le dernier, un chef d’entreprise l’a emmenée passer une semaine à Cannes. Elle a fait bronzette sur la croisette et fait ses emplettes chez Chanel. 

La solitude, un mal terrible

Des amis, elles croient en avoir. Sourire de façade et salamalec en vis-à-vis. Mais dès qu’elle a le dos tourné, Pomponette est moquée, caricaturée, critiquée. On lui taille des croupières. On potine sur son avidité, son toupet, son culot.    

La quinqua habite un appartement sur les hauteurs d’Alger. Cinquième étage. Soixante-cinq mètres carrés, mis à son nom par son dernier mari avant qu’il ne déchante. Elle a une petite terrasse ornée de jardinières. Elle aime les hortensias et les gueules de loup. Elle se promet de planter bientôt des freesias, en souvenir de sa grand-mère qui en avait plein son jardin.    

En réalité, Pomponette est mal dans sa peau. Elle souffre de solitude. Chaque matin, sans maquillage, elle observe son reflet sur son miroir. Premiers outrages du temps. Paupières tombantes. Sillons entre les sourcils. Mine charbonneuse. Elle appelle vite le cabinet d’esthétique pour prendre rendez-vous. Une nouvelle injection de botox s’impose.

Une proximité rafraichissante

Sur le même palier vit un couple avec trois enfants. Eux aussi ont une terrasse. Une palissade agrémentée de plantes grimpantes sépare les deux appartements. Pomponette les entend souvent rire, discuter, s’amuser. Allongée sur sa chaise longue, elle fourre son nez dans les feuilles de lierre et les épient. La voisine, la jeune quarantaine, a de jolis traits fins. Le mari semble un peu plus vieux.

Ils mettent parfois de la musique. Shakira, Takfarinas, Idir, Beyoncé, Indochine, Kool and the Gang, Marvin Gaye, Cheb Hosni. Cette proximité lui fait du bien. Elle se met à rêver d’être à leur place. Avoir des enfants joyeux autour d’elle. Ses voisins, elle les a toujours snobés. C’est à peine si elle leur dit ‘bonjour’ quand elle les croise dans les escaliers.

Pourtant, la voisine a sonné à sa porte le jour de l’Aïd. Elle lui a tendu une boîte de gâteaux « Des makrouts mielleux préparés par moi-même » lui a-t-elle dit. Pomponette l’a remerciée du bout des lèvres. Après avoir fermé la porte, elle s’est dirigée vers la poubelle et a balancé la petite boîte sans l’avoir ouverte.

Une vraie amie

Pomponette se lève. Elle prend un coffret de chocolat Lindt rapporté de son dernier voyage. Elle remet de l’ordre dans ses cheveux, se passe un trait d’eyeliner dans les yeux et va sonner chez sa voisine. La voix d’Idir qui entonnait le refrain de ‘Zwit Erwit’ s’arrête net. C’est le mari qui ouvre la porte. Il appelle sa femme. « Hanane viens, tu as de la visite ! ».

Pomponette sourit bêtement. Gênée, elle tend la boite de chocolat à sa voisine. « Mais rentrez prendre un café ! » l’invite Hanane. Pomponette hésite puis pénètre dans l’appartement lumineux. Tout est bien rangé. Les enfants accourent. Ils sont pressés de goûter les chocolats. Pomponette se sent subitement bien, merveilleusement bien. En sirotant le café préparé par le mari de sa voisine, elle se confie sur sa vie. Hanane l’écoute attentivement. Pomponette sent qu’elle a enfin une amie. Une vraie !