Des ailes, mais pas de racines

Ils n’ont pas l’esprit de famille. À leurs yeux, les liens du sang sont relégués au second plan. Mal à l’aise avec les leurs, certaines personnes limitent les visites familiales au strict minimum. Lydia N.

Les réunions de famille, les cérémonies de mariage ou les événements heureux, synonymes de retrouvailles, s’apparentent à de véritables séances de torture à leurs yeux. Eux préfèrent maintenir la distance avec leurs proches. Vite expédiées, les visites se limitent souvent à une dizaine de minutes par an, généralement à l’occasion des fêtes de l’Aïd. Aux gens qui claironnent que les liens du sang sont sacrés, ils ont une réponse toute prête : « Bof ! »

Famille, je vous hais !

Samira, 45 ans, ne voit sa famille qu’à de rares occasions. « J’ai quatre sœurs et deux frères avec qui les rapports n’ont jamais été au beau fixe. Mes parents ne sont plus de ce monde et je n’éprouve aucun besoin de resserrer les liens du sang avec ma fratrie. Au contraire, c’est une source de problèmes.

N’ayant jamais été complice du temps de notre jeunesse, l’écart s’est creusé davantage. Des piques fielleuses et des jalousies perfides rendent ces rapports encore plus compliqués. Je stresse par avance lorsque je suis invitée à un baptême ou un mariage, et que les retrouvailles sont inévitables. Je n’en ferme pas l’œil de la nuit. De retour chez moi, je suis mal en point. D’anciennes rancœurs remontent à la surface. Il me faut 48 heures pour retrouver mon équilibre. Je préfère la compagnie de mes amis, ceux que j’ai choisis et avec lesquels j’ai des atomes crochus. »

Une famille trop étouffante

Loin d’idéaliser la famille, certaines personnes la qualifient d’étouffante. Maya, 41 ans, ne ressent pas de liens forts envers ses proches. « Il y a toujours eu un malaise profond dans la maison où j’ai grandi. Mes parents passaient leur temps à se déchirer et ne témoignaient aucune affection, ni envers ma sœur, ni envers moi.

Je me suis toujours sentie rejetée. Je rêvais du jour où je me marierais pour fonder un foyer et m’éloigner de cette famille, source d’angoisse perpétuelle pour moi. Une fois avec mon époux, j’ai trouvé un certain équilibre. Je me contente de donner un bref coup de fil de temps à autre à mes parents.

La psychothérapie que j’ai suivie m’a aidée à comprendre que ce rejet venait du fait que j’ai manqué d’amour. Mon cercle familial était loin d’être apaisant. Le mal est fait. Je déteste l’hypocrisie. Je déteste les retrouvailles pendant lesquelles on fait semblant de s’aimer. »

Politiquement incorrect

Pour d’autres, les liens du sang sont sacrés. C’est politiquement incorrect de les fouler au pied. Nesrine, 29 ans, nous livre son témoignage au vitriol à propos de sa sœur. « Du jour au lendemain, elle a coupé les ponts avec nous. En apparence, il n’y a aucune raison. Mais à y regarder de plus près, le décryptage est aisé.

Ayant épousé un gars de la haute société, ma frangine a une sorte de mépris pour nous depuis qu’elle a eu un beau parti. Comme si désormais, nous ne lui convenions plus. Il peut se passer six mois avant qu’elle ne daigne venir embrasser ses parents. Ses coups de fil se raréfient également. Personnellement, je trouve ce comportement inadmissible. Je le lui ai dit cash. Prendre l’ascenseur social rime-t-il avec mettre une croix sur les siens et se déraciner ? Je trouve tout simplement cela immoral ! »

On dit qu’on ne choisit pas sa famille. Et lorsqu’elle est source d’angoisse, au lieu d’être un havre de paix, l’individu a tendance à s’en éloigner, quitte à devenir le vilain petit canard. Choisir une famille de cœur, en se constituant un bon réseau d’amis, est souvent salvateur pour ces personnes qui, malheureusement, sont en rupture de ban avec les leurs.