Amina Mekahli : notre poétesse éternelle

Pourquoi ne dit-on jamais : il est une poétesse, quand cette « poétesse » n’a jamais cessé, et ne cessera jamais d’exister ? Qu’elle est encore tellement vivante en nous et pour toujours. Par Reslane Lounici

Amina Mekahli est une écrivaine, traductrice et poétesse lauréate de plusieurs prix internationaux, dont le prix de poésie Léopold-Sédar-Senghor en 2017 pour son poème “Je suis de vous”. Ce poème figure dans son deuxième roman publié en 2018 aux éditions Anep, et qui aborde le thème des « camps de regroupement » pour la première fois dans la littérature algérienne. Il s’agit du roman « Nomade brûlant ».

Pendant la guerre d’Algérie, les camps de regroupement, l’appellation exacte aurait été « camps de concentration », sont créés dans le but de priver le FLN de l’appui de la population. Leurs conséquences ont été terribles sur les individus, et la parole des survivants commence à peine à se libérer, 60 ans après.

Cette poétesse nous a livré l’une des plus importantes « insignifiantes petites histoires », de celles qui se racontent dans le silence des douleurs.

Le récit d’un nomade brûlé par le feu de sa mémoire

L’histoire d’un nomade brûlant, un nomade brûlé par le feu de sa mémoire. Mémoire qui ne laisse pas grande place à un futur serein, car elle ne dit pas son nom, le désert n’en a que faire, il ne s’encombre de rien, même pas des patronymes.

Amina Mekahli nous conte dans ce livre une histoire où les héros d’hier sont les salauds d’aujourd’hui, ou peut-être le contraire. Qui sommes-nous pour juger ? Nous n’étions même pas là ! En temps de guerre, chacun agit face à sa conscience, et ce n’est qu’à postériori que l’histoire juge.

Cette histoire s’articule autour de trois axes. Telle une sainte trinité, le récit s’égrène, de confusion en révélation. L’autrice nous fait traverser cet épisode funeste de notre mémoire collective comme on traverse la grande Histoire : avec dignité et sans fatalisme.

Une plongée au fond de l’être

Elle va au fin fond de l’être chercher les éléments nécessaires à la compréhension du drame d’un homme, d’un peuple. Cet homme aux deux mères, l’une génitrice et la seconde adoptive, mère d’asile. Il lui faudra sacrifier l’une pour sauver la mémoire de l’autre. La dichotomie va plus loin et confronte la grande Histoire, officielle, publique, à la petite histoire, à l’anecdote de taille humaine, l’insignifiante qui a quant à elle réellement existé.

Qu’est-ce qui pousse un homme pour qui tout réussit à balayer une vie entière d’un revers de la main, si ce n’est le fait de revivre ne serait-ce qu’une fois le sentiment d’être à nouveau petit garçon, renouer avec l’innocence et jouir de la bénédiction de sa mère.

Dans ce roman aux styles hybrides, la poésie épouse la prose et donne au récit tout son sens. Amina Mekahli pose mine de rien des questions qui vont au-delà de l’histoire même. Elle questionne ce que nous avons d’intrinsèquement humain en nous, à savoir nos douleurs. Elle provoque nos peurs intimes en duel, elle creuse nos mémoires et nous laisse avec nos tombes béantes qu’il nous faudra recouvrir par la suite.

Le plus grand défi pour l’écriture d’une histoire pareille aurait été de le faire avec beauté, le défi est relevé haut la main. Il ne me reste qu’à vous souhaiter une belle traversée au cœur d’un hymne à la liberté des peuples.