Ça veut dire quoi à ‘l’Algérienne’ ?

Conduire à l’algérienne. Passer un week-end à l’algérienne. Penser à l’algérienne. Faire la fête à l’algérienne. Travailler à l’algérienne. Par Celia Ouabri

Ces formules émaillent souvent les conversations des citoyens lambda. Mais au fait, ça veut dire quoi au juste ‘faire quelque chose à l’algérienne’ ? Tentative de décryptage.

Le week-end à l’algérienne

« Bye bye ! Bon week-end. » Lancé à la volée par collègue X à collègue Y avec un sourire XXL. Quelle perspective pour ce week-end après une semaine de boulot ? Balade en yacht ? Randonnée entre amis ? Escalade en montagne ? Virée sur la bande côtière ? Que nenni. Même pas en rêve ! On le sait. Quand le week-end à l’algérienne déboule, il faut actionner l’huile de coude. ‘Mou3ân’(vaisselle), ‘nechef’(serpillière) et ‘Kouzina’ (popote).

Récurer, nettoyer, briquer, repasser, rafistoler, trier, ranger… Des ‘joyeusetés’ de corvée ménagères et autres. Cerise sur le gâteau : pas le moindre petit merci de la part de la smala partageant notre chaumière.

Ôte-toi de ma route !

L’Algérien au volant est une furie. Sa voiture est un bolide. Il peste, écrase rageusement le champignon du plancher de ‘sa caisse’ du bout de ses baskets, slalome à droite puis à gauche, aboie sur les autres conducteurs, et insulte les piétons qui ont le malheur de se trouver sur son chemin en les menaçant de les envoyer manger les pissenlits par la racine.

Vitesse et non respect du Code de la route. Et quand le chauffard est flashé à 200 km/heure sur l’autoroute et que, manque de peau, les gendarmes l’épinglent, l’Algérien ne se démonte pas d’un poil. Un petit coup de fil à une ‘m3ifa’ et l’affaire est réglée. Permis de conduire restitué sur le champ. Et c’est reparti pour la suite du rodéo sur les bandes d’asphalte.

Zwit 3rwit

 Les cérémonies de mariage in Algeria ! Parlons-en ! Fêtes de tous les superlatifs, de toutes les démesures. Trop de tenues, trop de gâteaux, trop de gaspillage. Trop de m’as-tu vu. On dépense à tour de bras pour en mettre plein les yeux aux invités. Bling bling party. On casse sa tirelire, on tire le diable par la queue et on s’endette sur dix ans. 

Faut que ce mariage reste dans les annales de toute la ‘houma’ et dans l’histoire familiale sur plusieurs générations. Gâteaux à profusion. Robes en plusieurs modèles. Repas gargantuesque. Klaxons stridents. La limousine constellée de fleurs et de rubans dorés fait le tour du quartier avant de prendre le chemin de la salle des fêtes. Tant d’extravagance ! Démesure. Excès. Folie.

Sur la piste de danse, les femmes sont déchaînées. C’est le grand défouloir. Zéro retenue. Le corps exulte. Il s’exprime. Il transpire. Il gigote dans tous les sens. En transe. Chah ! La prochaine invitation n’est prévue que dans trois mois ! Donc faut faire des réserves ! En profiter un max. Autre phénomène bien de chez nous. Vous remettez un carton d’invitation à la voisine. Elle déboule avec sa cousine, sa tante, sa belle-mère, sa nièce et la fille de la concierge. C’est l’auberge espagnole. Normaaal !

À quelle heure déjà ?

Les rendez-vous. Parlons-en. Ce sont les heures de prières qui fixent les rencards. « N’talagawe ba3d salat El Asr. » (On se voit après la prière d’El Asr). On est dans l’approximation. Pointez-vous au café du coin et attendez ! C’est cela les rendez-vous à l’algérienne.

Allo ya kho

Parler à l’algérienne : c’est s’exprimer fort dans la rue, en gesticulant et en moulinant des bras. Même si l’Algérien n’a pas une voix de baryton, les sons s’échappent de sa glotte avec force. De quoi réveiller un mort.

Fait étrange : l’Algérien hurle pour parler à son vis-à-vis qui est juste à côté de lui. Le mystère reste entier. Quand l’Algérien papote au téléphone, il vocifère tellement que toute la cantonade est au courant de ses sujets de discussion. Personne ne rate un brin de sa logorrhée. « Chhal rak tbi3 ta voiture ? Saadini nadiha Alik (combien tu vends ton véhicule ? Fais-moi un bon prix et je te l’achète).

Les vrais ‘zhommes’ ne disent pas ‘nabrik’

Aimer à l’algérienne est très spécial. En amour, l’homme doit la jouer ‘dur à cuire’. Ne jamais dire je t’aime. Trêve de sensiblerie. Pas viril du tout de conter fleurette à une gonzesse ! Un peu de ‘redjla’ que diable ! Il faut plutôt la jouer macho, laisser s’exprimer sa testostérone et faire claquer sa voix grave ! Hadi hiya. À prendre ou à laisser. Les sentimentales qui fondent devant une fille comme un glaçon au soleil, ça fait pshtt ! Susurrer « je t’aime, nabghik, oua n’mout alik » c’est bon pour les chansons rai. Pas pour les vrais ‘zhommes’.

T’as le look coco !

Prendre la pose à l’algérienne, c’est tout un art de vivre. Le must du must, c’est de s’exhiber avec le dernier portable, la dernière paire de tennis, le nouveau modèle de voiture. Ne jamais raser les murs, ne jamais se fondre dans la masse, ne jamais passer incognito ! Non, non, non ! En mettre plein la vue aux autres, c’est cela le deal. Grand paradoxe : même les chômeurs sont habillés de marques made in. Ils arborent des montres de luxe, des portables high tech et friment aux volants de grosses berlines. Quelqu’un pourrait-il nous expliquer ce délire ?

Oui. Vivre à l’algérienne, ce sont souvent ces excès, ces démesures, ces particularités. On peut en rire ou en pleurer, mais une chose nous mettra certainement tous d’accord. L’Algérien a ce ‘ petit truc’ que les autres n’ont pas. Sa grande générosité et son sens du partage. Fauché, affamé, malheureux, il tendra toujours la main à plus démuni que lui. Prêt à donner la chemise qu’il porte même s’il n’en a qu’une seule pour aider son prochain. N’est-ce pas cela le véritable amour finalement ?