Si le mouton est doté de cornes, leur joie est doublée d’une grande fierté. Dans la houma, les petits lutins pavoisent, tenant le bélier par une laisse. Le jour ‘j’, à l’heure du sacrifice, ils verseront des rivières de larmes en voyant leur ami à quatre pattes baigné dans une mare de sang. Leurs parents les consoleront en leur racontant le sacrifice d’Abraham.
C’est la fête du sacrifice ! L’Aïd El Kebir ou l’Aïd El Adha est célébré le dixième mois de Dhou El Hijja. C’est le point culminant du pèlerinage, intervenant après la station de Arafat. En ce jour sacré, les musulmans du monde entier commémorent le souvenir d’Abraham qui, au moment de sacrifier son fils Ismaïl sur ordre divin, a vu un mouton apparaitre à la place d’Ismaïl.
Toute une ambiance !
Dans toutes les villes d’Algérie, c’est la liesse. Les rémouleurs ont sorti leurs machines à aiguiser couteaux et haches. Ils se frottent déjà les mains à l’idée de remplir leurs besaces de monnaies sonnantes et trébuchantes.
Dans les foyers, les mamans repassent les tenues de l’Aïd El Fitr de leurs enfants si celles-ci n’ont pas été trop portées depuis. Autrement, et si le porte-monnaie le permet, direction les boutiques de prêt-à-porter pour renouveler la garde-robe. « Chaque année, j’offre une tenue pour l’Aïd El Kebir à mes deux enfants » nous révèle Assia (36 ans). « Je considère que c’est leur fête, et à ce titre, ils doivent être sapés comme des princes ».
Les mamans ont fort à faire en cuisine. Certes, l’Aïd El Kebir, c’est la fête du sacrifice, mais elles se doivent de préparer El Mekrout, ‘le sultan de la meida’ pour la petite note sucrée accompagnant cette célébration.
Un veau pour la famille élargie
Dans certaines familles, les frères font caisse commune pour un sacrifice collectif. « Chaque année, nous nous cotisons pour acheter un veau » nous dit Nacer (56 ans). « Le jour de l’Aïd, nous nous retrouvons tous en famille dans la grande maison de mon frère aîné. L’entraide est de mise avant de déguster les brochettes en famille sans oublier la part des nécessiteux ».
Au four et au moulin
Les retrouvailles en famille riment avec partage. La fête du sacrifice est aussi celle des corvées, surtout pour les femmes qui doivent nettoyer les abats, faire le ménage et préparer les repas. « Les hommes sacrifient le mouton, mais la grande part de travail nous incombe » témoigne Ahlem (41 ans). « Nettoyer les abats et le bouzelouf est une tâche ardue. Personnellement, ce n’est qu’en milieu d’après-midi que je suis enfin débarrassée des corvées. Je peux enfin prendre une douche, me coiffer, m’habiller et me maquiller afin de faire honneur à la fête ».
Adieu mon cher doudou à cornes !
Le jour du sacrifice rime parfois avec tristesse pour les enfants. « Quand j’étais petit, je ne supportais pas qu’on tue le mouton qui était devenue mon compagnon de jeux pendant deux ou trois jours » se souvient Mokhtar (60 ans). « Je pleurais et refusais de manger la viande de mon ‘ami’. Lorsque à mon tour, je suis devenu papa, je n’achetais le mouton que la veille afin que mes enfants n’aient pas le temps de s’attacher à cet animal promis au sacrifice. Ce geste peut vraiment être traumatisant pour les plus jeunes » conclut le sexagénaire.
Le sens du partage
Au vu des prix du mouton qui connaissent une flèche croissante chaque année, de nombreux foyers renoncent à accomplir ce rituel. Il faut alors compter sur la générosité des voisins pour recevoir une part de viande en signe de ‘sadaka’ (aumône). « Il faut penser aux nécessiteux et perpétuer la tradition comme le faisaient nos parents et nos ancêtres » rappelle Othmane (45 ans). « Mettre la viande au congélateur pour en manger pendant quatre ou cinq mois nous éloigne de la symbolique de cette fête du partage et du sacrifice. L’islam nous recommande d’en manger un tiers et de donner le reste aux nécessiteux ! ».
L’Aïd El Adha coïncide cette année avec le 16 juin ; l’occasion pour de nombreuses familles de partager des moments de convivialité. Une pensée et un geste pour les démunis donneront plus de sens à ce rituel annuel.
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