Derrière les mots

J’ai une angine blanche et je suis complètement aphone. Ma tête bourdonne comme si un escadron de 350 guêpes avait pris possession de ma boîte crânienne. Par Celia Ouabri

J’ai l’impression qu’une partie de ping-pong s’y dispute. Boum. Boum. Toc. Toc. Cela me rappelle « Le Vol du Bourdon » de Rimsky-Korsakov. Et ma fièvre n’est pas prête de retomber non plus. J’ai avalé des dizaines d’antalgiques, des chopes de ‘tizana’ au miel ‘el hor’, des litres de jus de ‘tchina tâa la3sir’, mais rien n’y fait ! Au contraire, j’ai l’impression que mon état a empiré.

Zola, ma colo qui zozote, a réussi à me traîner de force chez l’ORL, malgré mes protestations. « Je ne supporte plus te voir dans cet état ! Je ne veux rien savoir. Je t’emmène ‘fissa’ chez le toubib. » A-t-elle décrété sur un ton ferme.

Je déteste ce type à la blouse blanche qui me reçoit dans son cabinet feutré. Il fourre un abaisse-langue dans ma bouche, examine ma glotte avec une mini-torche et roule des yeux ronds en m’annonçant que mes amygdales sont en feu.

Merci docteur, je n’avais pas attendu votre arrivée pour m’en rendre compte. L’homme de savoir ajoute que j’aurais dû me précipiter chez lui dès l’apparition des premiers symptômes. Si je devais courir, c’est sur un terrain de sport, pour élaguer quelques kilos, pas pour tomber nez à nez avec votre tronche patibulaire.

Les piqûres, ma bête noire

Il poursuit sa logorrhée : « L’infection est purulente, là. Il faut attaquer tout de suite avec des injections de pénicilline afin d’éviter d’éventuelles complications. » Mes oreilles sifflent. Elles ont capté le mot qu’il ne fallait pas prononcer. Oui, je sais ! Je vous entends déjà vous fendre la poire : « C’est quoi ce délire ? À son âge, elle flippe pour des injections ? » Attendez que je vous explique. Il ne faut jamais juger les gens avant d’entendre ce qu’ils ont à dire !

Les piqûres, ça me fout vraiment les chocottes. Une phobie qui remonte à mon enfance. Je devais avoir quatre ans et quelques brouettes. Je jouais au parc de Galland avec d’autres mioches pendant que ma mère tricotait en papotant avec sa voisine de banc.

Un de mes camarades de jeu s’est alors mis à courir derrière un chien, sorti de je ne sais où. Se sentant menacé, le clebs fila se planquer dans un bosquet, suivi immédiatement de la horde d’enfants excités que nous formions. Je ne sais pas pourquoi, le canin a surgi du fourré sans crier gare et s’est rué sur mes gambettes toutes maigrichonnes pour y planter ses énormes crocs, au lieu de viser celles de Djidjiga, ma copine de jeux rondelette comme une pastèque.

Alertée par mes cris aigus, ma mère lâcha ses aiguilles à tricoter et sa pelote de laine jaune mimosa, et accourut vers moi, comme une dératée. Elle me transporta d’urgence à l’hôpital où on m’administra un traitement antirabique. Chaque jour, je subissais en hurlant, mordant et griffant l’infortunée infirmière qui a eu la malchance de s’occuper de moi. Ça, c’est pour la petite histoire. Revenons à nos moutons.

Ah, la phobie !

L’ORL décèle ma phobie des « chaketes ». Alors, il en remet une couche : « Dix injections, une par jour. Il faut passer par là si vous voulez retrouver une voix qui ne ressemble pas à celle de Chaba Zahouania. » Je décèle une lueur railleuse, voire jouissive, dans ses petits yeux ronds cernés par des lunettes rondes. Voilà qu’il essaie de faire de l’esprit à deux balles. Je hais ce type. J’ouvre la bouche pour lui dire que ses commentaires ne sont pas drôles, mais aucun son audible ne parvient à s’échapper de ma glotte.

Le voici qui noircit une ordonnance avec des noms barbares. Je règle ma consultation et retrouve Zola dans la salle d’attente. J’esquisse un sourire de satisfaction en repensant à mon lit chaud qui m’attend. Dehors, le ciel est effrayant de noirceur et les éclairs de tonnerre zèbrent le ciel. Zola m’arrache l’ordonnance des mains. Elle me dit qu’elle va se rendre dans une officine pour faire provision de la pénicilline prescrite. Je sens que les seringues vont prendre la poussière dans mon tiroir. Aucune aiguille ne piquera mon épiderme. Et tant pis si je garde la voix de Chaba Zahouania. Il ne me reste plus qu’à m’acheter un micro !