Le huitième jour de la semaine

Qui a dit que le week-end était un moment sacré pour se reposer, se ressourcer et recharger ses batteries ? Balivernes ! Le week-end à l’algérienne, c’est plutôt serpillière, balai, tête de loup, plumeau, Sanibon, eau de Javel et autres détergents.

Aïcha en sait quelque chose. Armée de son frottoir, elle s’attaque au sol de son 75 m². Ses deux mioches ont encore fait des ravages cette semaine. Ils semblent avoir pris la maison pour une véritable arène, s’adonnant sans relâche à leur sport favori : la bataille de victuailles.

Frasques picturales !

Sami et Malik ne perdent pas une occasion de transformer la cuisine en champ de bataille. Pâtes, miettes de pain, chocolat à tartiner, confiture, beurre… tout y passe ! Le sol et le parquet sont généreusement aspergés de ketchup, mayonnaise et autres sauces. Le tapis du salon, quant à lui, est en train de se faire coloniser par des chewing-gums, tandis que le canapé croule sous une pluie de miettes de chips.

La chambre des enfants, elle, ressemble plus aux écuries d’Augias qu’à un lieu de vie. Et bien sûr, pour compléter leur œuvre picturale, les petits monstres ont décidé que les murs étaient une toile idéale pour leurs dessins… au feutre. Des traces « grand format » zèbrent les murs fraîchement repeints, couleur lavande à l’origine. Aïcha est désemparée. Faut-il y voir un talent caché ou s’arracher les cheveux ?

Ces « fresques » pourraient-elles annoncer un futur Monet, Matisse, ou Picasso ? Mais pour l’instant, la priorité est de les effacer, coûte que coûte, à coup de bras et d’huile de coude. Ce qu’elle fait, bien sûr, en pestant contre Sami et Malik, qui ne cessent de lui donner du fil à retordre.

Seule contre tous !

C’est dans le rôle de Cosette qu’Aïcha s’installe, maugréant. Son mari, lui, est aux abonnés absents. Pas question de rater son footing avec ses amis. Quelle affaire ! Dans la vie comme sur scène, Aïcha n’a pas une seconde pour souffler. Depuis le jour où les trois coups ont retenti, une destinée s’est écrite : celle d’une femme submergée par les tâches ménagères et les responsabilités familiales.

L’heure tourne. Elle est déjà à la bourre, dans le rush. Il faut lancer une troisième machine à laver, dépoussiérer la bibliothèque, lustrer les meubles, repasser les chemises de Monsieur, ranger la vaisselle qui dort dans l’égouttoir et… préparer le repas. Et tout ça sans baguette magique à la Maitresse d’école… Grrrr !

Il est déjà 13 h. Monsieur et les mioches braillent : « Quand est-ce qu’on mange ? On crève de faim ! » « La ‘‘macho attitude’’ commence dès quatre ans ! », remarque Aïcha, en jetant un regard assassin à son dernier rejeton qui venait de l’interpeller. « Heureusement, pense-t-elle. Il y a un homme intelligent qui a inventé un truc génial : la cocotte-minute… ou l’autocuiseur, si vous préférez. Même la viande la plus coriace, comme celle de la chamelle, du crocodile ou du rhinocéros, fond en un rien de temps. Béni soit cet inventeur, cet ami des femmes comme moi ! »

Bref, une fois les estomacs de sa tribu bien remplis, la vaisselle lavée et rangée, les enfants réclament leur sortie à la forêt de Bouchaoui. Aïcha regarde l’horloge du salon, qui semble courir plus vite qu’elle. « Il est presque 16 h. Mon Dieu, comment le temps file ! », s’exclame-t-elle, avant de se rappeler qu’elle a oublié d’arroser son géranium. « Zut ! » Elle se précipite sur son balcon, ses yeux s’éteignant momentanément sur la seule plante qui ne la fait pas souffrir.

Un week-end sans fin !

Pendant ce temps, Monsieur est confortablement installé sur le canapé, zapette en main et amygdales à l’air. Les enfants reviennent à la charge : « Vélo, vélo ! » hurlent-ils à pleins poumons.

Aïcha, épuisée, négocie un petit sursis : « Pouce ! Maman a besoin de souffler dix minutes, et après, on y va. C’est promis ! » Ses deux petits anges, les yeux brillants, comptent déjà sur l’opportunité de faire une nouvelle bêtise. Et voilà qu’ils foncent vers le frigo, se disputant la bouteille de jus de fruits.

« C’est moi qui commence ! » Et là, le bruit d’un verre qui se brise. Aïcha, assoupie à peine quelques secondes, sursaute en entendant le fracas de la chute de verre. La cuisine est désormais jonchée de débris cristallins. Rebelote : balai, pelle, serpillière, frottoir. Ce n’est jamais fini ! Pendant ce temps, les deux canailles rigolent, tandis que Monsieur reste tranquillement absorbé par son match de football. « Allez, j’ai besoin de ‘‘sousta’’ ! » ose-t-il, l’œil rivé sur son écran plasma.

Avec son lot de mésaventures, Aïcha embraque enfin les enfants et leur vélo dans sa voiture pour une fin d’après-midi sportive. Elle court après eux, piquant des sprints dans la forêt pour surveiller les petites têtes blondes. L’épuisement l’envahit. Il est grand temps de sauver le soldat Aïcha !

Vivement le travail !

De retour à la maison, les fourneaux l’attendent de pied ferme. Dîner, vaisselle et tout le tralala. Aïcha se sent comme une jument épuisée. Ses chakras se ferment à grande vitesse. Elle est tendue comme un arc. Sami et Malik se disputent encore pour la Playstation. Aux grands maux, les grands remèdes : deux petites taloches et direction le lit, extinction des feux immédiate.

Ouf, enfin ! Le week-end est terminé. Demain, une nouvelle semaine commence. « Je vais enfin pouvoir me reposer un peu au travail… » songe Aïcha, avant de tomber comme une souche dans les bras de Morphée.