Les aventures d’une femme à Alger : Hep Taxi ! 

J'avais les pieds en compote et le bras engourdi par tous les paquets que je portais. Sacrées soldes ! J’ai léché les vitrines et succombé à des achats de folie : un petit ensemble jupe-veste mimi comme tout, une paire de cavalières en daim, un manteau noir stylé et des sous-vêtements affriolants. La totale. Par Celia Ouabri

Ah, le shopping !

J’ai fait chauffer ma carte bancaire, mais pour une fois, aucune once de culpabilité n’a effleuré mon esprit. Au contraire, mon moral est remonté en flèche. Sur une échelle de 10, il est à 9 et demi. J’aurais été au zénith de la plénitude si j’avais trouvé un taxi rapidement. Quinze minutes à piétiner sur le trottoir de la rue Hassiba Ben Bouali. Ressenti : deux heures. À chaque fois qu’un taxi montre le bout de son pare-choc, il est déjà tout plein de clients.

Je suis sur le point de dégainer mon téléphone pour commander une course VTC, lorsqu’un taxi s’arrête à mon niveau. Hourra ! Le siège avant est libre. Le chauffeur baisse la vitre et s’enquiert de ma destination. 

  • -Rayha Ouine ? 
  • -Hussein-Dey, svp ! 
  • -Attal3i ! 

Que l’aventure commence !

Soulagée, je saute dans le taxi. Je m’affale comme un sac de patates et tente de caser mes paquets à mes pieds. La banquette arrière est occupée par deux jeunes femmes.  

La circulation est infernale. Dans cette rue, quelle que soit l’heure de la journée, c’est encombré, de chez encombré ! En arrivant au niveau de l’hôpital Mustapha, un homme hèle mon taxi. Le chauffeur stop net, et me demande de bien vouloir céder ma place au nouveau client. 

-Il ne sera pas à l’aise à côté des femmes à l’arrière, question de ‘horma’  tranche-t-il. 

Je ne dis rien. Je veux juste rentrer chez moi. Armée de mes paquets, je me migre vers la banquette arrière. Concerts de klaxons et chapelets d’insultes. L’un des automobilistes nous dépasse et vilipende le taxieur.  

Haya Amchi! Wech, nbatou hna? Allez roule, on ne va pas y passer la nuit, wech ! 

On aurait tout vu !

On redémarre. Les trottoirs sont noirs de monde. Les gens allongent le pas pour rentrer chez eux. Les deux passagères à côté de moi gloussent. L’une d’entre elles raconte comment elle a truandé son patron en lui volant la caisse avant de se carapater en douce. Elle mâche bruyamment son chewing-gum et fait d’énormes bulles roses qu’elle laisse éclater. Je croise le regard furax du chauffeur de taxi dans le rétroviseur. Mais il ne pipe mot. Tout à coup, la jeune fille enfonce ses doigts dans sa bouche, saisit le chewing-gum et le colle sur la banquette. Elle demande ensuite au chauffeur de s’arrêter.

Les deux passagères paient et descendent en s’esclaffant de plus belle. Nous roulons cahin-caha, dépassons les arcades de la place du 1ᵉʳ mai, lorsqu’un bras s’agite sur le trottoir. Visage poupin, un jeune d’environ vingt ans invite sa copine à monter dans le taxi. Je me recroqueville contre la portière pour leur laisser plus de place. Le couple semble flotter sur un nuage rose. Ces deux-là sont en train d’écrire les premières pages de leur histoire. Ça crève les yeux. Et quand le gars serre la main de sa chérie dans la sienne, le chauffeur de taxi, qui a les yeux rivés sur son rétroviseur, voit rouge. Il freine sec au milieu de la chaussée, juste à côté du stade du 20 août.

  • -Fichez-moi le camp, taxi familial h’naya ! 
  • -Mais on n’est pas encore arrivés ! Proteste l’amoureux 
  • -Haya, digage ! vVtupère le taxieur. 
  • Le couple quitte le véhicule en protestant.  
  • -Pas si vite ! Ça fait 80 da ! La prochaine fois, allez roucouler ailleurs ! 

Une fin imprévisible

La voiture repart. Le chauffeur commence à déblatérer sur la nouvelle génération qui n’a pas froid aux yeux et qui flirte dans les espaces publics. Il cherche mon approbation en me lançant des regards appuyés via le rétroviseur. J’aurais aimé l’envoyer balader, mais je préfère ignorer ses commentaires moralisateurs. Le client de devant est muet comme une carpe. D’ailleurs, il intime l’ordre au conducteur de s’arrêter, paie et file à grandes enjambées.

Mon quartier est en vue. Ouf, ce trajet m’a épuisée. Je rassemble mes achats et pointe du doigt la boulangerie ‘Délices de Lalla Khadaoudj’, indiquant au chauffeur que c’est la fin de la course. Je farfouille dans mon sac pour tirer mon portefeuille quand je le vois pivoter sur lui-même. En deux temps, trois mouvements, je sens sa main se balader sur ma jambe et tenter une ascension.

« La course est pour moi, contre ton numéro de téléphone », susurre-t-il d’une voix vrillée par l’excitation.

J’ai d’abord cru à une hallucination. Puis la réalité a repris le dessus. D’un geste preste, j’ai ouvert la portière, empoigné mes achats et me suis extirpée, à toute vitesse, du véhicule. Le chauffeur a démarré en trombe sans demander son reste. J’en suis restée baba. C’est là que je me suis aperçue que j’avais un bout de chewing-gum rose collé à ma jupe noire.