Bien lustrée, la guimbarde ‘reliftée’ fend le boulevard Mohamed Belouizdad fière comme une berline du dernier cri. ‘Hachiate’ roses aux poignées des portières et gerbes de roses rouges sur le capot, la voiture semble avoir retrouvé la verve de ses 20 ans. Les klaxons montent en décibel, réveillant en sursaut les bébés et les mamies qui faisaient leur sieste rue Belouizdad.
Un cortège étincelant et animé
Amusés, les passants s’arrêtent le long des trottoirs pour admirer la parade. « On dirait un cortège présidentiel ! » commente un badaud à la barbe rousse. La voiture nuptiale est une décapotable. Du toit ouvrant émergent deux silhouettes. Elle, en robe blanche, lui, en costume gris.
Elle, plantureuse ; lui, maigre tel un cure-dent. Le couple agite la main comme John et Jacky Kennedy dans leur limousine à Dallas en 1963. Lui saisit son smartphone et filme le plus beau jour de sa vie. La mariée prend la pose et sourit de toutes ses dents.
À l’arrière, la Golf de l’oncle Badis colle au pare-choc de la DS nuptiale. L’habitacle est plein comme un œuf de cousines, voisines et concubines en tenues pailletées et dorées. On pousse des youyous, on tape des mains, on chante. C’est la fête ! Le cortège de voitures est long comme le fleuve d’El Harrach. Il y a même une petite Clio qui zigzague à l’arrière. Il fait chaud. Un adolescent en costume noir et à la face rubiconde expulse son corps empâté par la vitre. Il tangue de droite à gauche, brandissant son smartphone.
Un instant magique dans les rues d’Alger
Sa cousine, excitée comme un scarabée en plein soleil, se défoule en poussant un youyou aigu. Elle lorgne son reflet dans le rétroviseur externe et essuie son rimmel qui coule. Cacophonie de klaxons. Geyser de feux d’artifice. C’est la fiesta algéroise ! Le cortège s’engage dans les virages en épingle du Musée national des beaux-arts et dépasse le palais de Dar Abdeltif.
Bientôt, le quartier de Diar Essaada, où se trouve la salle des fêtes louée depuis le mois de janvier déjà ! Euphorie. Joie ! Ce jour sera gravé pour l’éternité dans les vidéos des téléphones portables qui s’agitent au-dessus des têtes. L’esplanade de Riadh El Feth est en vue. Le monument déploie ses trois palmes vers le ciel bleu. Mais, tout va basculer… Un gros camion déboule à toute berzingue en sens inverse. Le chauffeur appuie sur le frein, mais la pédale ne répond pas.
De l’excitation à l’horreur
La maman de la mariée s’impatiente au bout du fil. Ça sonne dans le vide. Les invités ont déjà bu les ‘gazouzette’ et mangé les salés, mais sa fille n’est toujours pas là. Le conducteur du camion a un rictus. Son visage est déformé par l’horreur. Le frein ne répond toujours pas. Le sourire de la jeune mariée s’évanouit subitement. Le mastodonte pile droit devant. La DS blanche est un amas de ferraille. Le téléphone portable de la mariée continue à sonner dans le vide. La robe blanche est rouge. Comme le tailleur rose de Jackie Kennedy à Dallas, le vendredi 22 novembre 1963.
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