Oh la la ! Ça ne va pas trop fort, Magdouda n’a pas le moral. Lorsqu’elle se reluque dans le miroir, elle sent aussitôt le poids des ans peser sur sa carcasse, immatriculée dans les années cinquante. Après un demi-siècle et bien des poussières, elle sent ses charmes chavirer. Elle ne se trouve plus vraiment belle. Juste des jolis restes. Mais… mazalat’ el baraka, se rassure-t-elle.
Par Celia Ouabri
Et si je me les faisais refaire ?
Elle tâte sa poitrine et fait la moue. En plus d’être rabougrie, voilà que la suspension lâche. Pourtant, adolescente, elle avait été horriblement asticotée, à cause de ses seins aplatis comme des sushis. À l’heure où ses camarades, à peine pubères, se vantaient de remplir qui, un 90 b qui, un 95 d, Magdou devait rembourrer ses soutifs avec du coton pour assurer le minimum garanti.
Depuis quelque temps, une idée lui taraude le ciboulot. Après tout, la chirurgie esthétique ce n’est pas fait pour les chiens ! De nos jours, nos joueurs de scalpels réalisent des miracles. Même plus la peine de prendre un billet pour se faire une liposuccion, un lifting ou une implantation mammaire, sous d’autres cieux.
Les bonnes adresses de chirurgiens chevronnés et ayant plus d’un tour dans leur bistouri s’échangent de bouche-à-oreille. Le tout Alger ne tarit pas d’éloges sur leur capacité à vous transformer la bête en la belle. Pas plus tard que l’autre jour, en faisant ses courses dans une supérette à Sidi Yahia, Magdouda est tombée nez à nez avec une ancienne copine du lycée. « Salut Magdou ! Wech, maâ’kaltiniche ? » Lui avait lancé Ghania, en la serrant dans ses bras. «Wallah, si tu ne m’avais pas abordée, je ne t’aurais certainement pas reconnue ! » Lâche Magdou, qui a du mal à cacher son admiration. « Punaise, tu es super ! Tu as rajeuni ou quoi ? » Flattée, Ghania rosit de plaisir.
Du même âge, le physique de son ex-camarade de classe n’avait pas bougé d’un poil. Visiblement épanouie, lèvres siliconées, pommettes remontées, peau lisse, silhouette fine…et surtout, deux énormes obus pointant leurs museaux vissés à un buste défiant la loi d’Isaac Newton.
« L’être humain est désormais programmé pour vivre centenaire… Alors, autant entretenir le matos pour qu’il ne tombe pas en ruine ! »
Tout en louant les mérites du docteur Zizatou, son chirurgien plasticien, elle lui griffonne son adresse sur un bout de papier d’emballage. Et d’enchainer, « tu rentres à la clinique à huit heures et à midi, tu es de retour chez toi avec une nouvelle fatcha. Ni vue, ni connue ! Seul truc, il faut allonger les biftons, ma chérie. J’espère que tu gagnes bien ta vie ? Tu sais, ce n’est pas donné ! Ma nouvelle paire de nichons m’a coûté la bagatelle de 250 000 dinars. »
Magdou est bluffée. C’est vrai, 25 patates, ce n’est pas donné. Mais après tout, comme on dit, l’argent, ça va, ça vient. Et puis, depuis qu’elle travaille dans le prêt-à-porter, elle en gagne pas mal, de la tune. L’essentiel, c’est de se sentir bien dans sa peau en corrigeant les défauts dus au poids des ans. Après tout, il n’y a pas de mal à donner un peu plus de volume à ses roploplos, histoire d’offrir plus d’élégance et de féminité à toutes les belles robes qu’elle porte, pense-t-elle, pour se convaincre de la justesse d’un tel plan.
Déterminée, la quinqua décide de prendre rendez-vous dans cette clinique privée des hauteurs d’Alger. Elle n’en pipera pas un mot à Momoh. Ce sera une surprise.
Le jour ‘j’ a sonné et l’heure ‘h’ se rapproche…
Magdouda a des cernes olivâtres. Elle n’a pas beaucoup dormi cette nuit. À peine une heure ou deux. L’anxiété, sans doute. L’opération est prévue ce matin à 9 heures. Une infirmière l’aide à se déshabiller et tente de la rassurer. « Tout se passera comme une lettre à la poste. Dr Zizatou refait des dizaines de poitrines par mois. La pose de prothèses mammaires, tout gabarit, c’est sa spécialité.
« D’ailleurs, tous les beaux lolos qui se pavanent sur la rue Didouche Mourad, sur le boulevard de Sidi Yahia ou sur la plage de Club des Pins l’été sont signés du bout de son scalpel ! » Plaisante-t-elle pour détendre Magdouda qui commence à avoir les jetons. Impatiente et nue comme un ver sous son drap, elle est déjà à l’horizontale sur le billard. Le chirurgien, flanqué de son anesthésiste, ne va pas tarder à faire irruption dans le bloc opératoire.
À ce moment précis, un drôle de tintamarre se fait entendre de la salle d’à côté. Magdouda tend l’oreille. Ce sont les éclats de voix d’une femme très en colère. C’est, apparemment, une cliente dépitée qui vient de débouler dans la clinique. L’on comprend nettement à travers ses vives réflexions que ses seins refaits il y a à peine une semaine ont fait ‘’pschitt’’. Ils se sont dégonflés comme de vulgaires ballons de baudruche contrefaits. Les cris reprennent de plus belle.
« Espèce de charlatan, tu vas croupir en prison ! » menace-t-elle, en foutant un extraordinaire
chambardement dans la clinique. En tout cas, Magdouda en a assez entendu. Sans demander son reste, elle enfile ses fringues à la hâte et s’enfuit comme une voleuse du bloc opératoire. Dehors, elle se rue sur le premier taxi qui passe et saute à l’intérieur. Vite, chauffeur, vite !
Une fois chez elle et bien remise de ses émotions, elle pense à la meilleure manière de récupérer l’argent payé cash d’avance à la clinique. Pour elle, il n’est plus question de refaire quoi que ce soit. Surtout depuis qu’elle a appris aux informations l’affaire des scandales liés aux implants mammaires en Europe. Après un long moment de méditation, Magdouda lâche, presque à haute voix, « bon, pour l’argent, je verrai cela plus tard, quant à mon physique… li yheb’ni, yheb’ni bakh’noun’ti ! (qui m’aime, m’aime comme je suis !)
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