Ils farfouillent déjà dans les bacs au-dessus des sièges pour récupérer leur bagage à main. La dame qui était assise à ma droite, côté hublot me piétine les orteils.
– Pardon, pardon. Ma petite chatte Barbouille doit étouffer là-dedans.
Amusée, je la regarde se hisser sur la pointe des pieds et saisir un panier en osier. Recroquevillée et effrayée, une petite boule de poils bicolores, la dévisage avec des yeux ronds.
-« Ma petite chérie d’amour, j’espère que tu n’as pas trop souffert du manque d’oxygène » susurre ma voisine de siège, en passant ses doigts laqués de vernis, dans la robe soyeuse du félin.
Une rencontre inattendue
J’attends que le flux des passagers diminue dans le couloir avant de me lever. Je n’aime pas cette excitation doublée de bousculades qui s’empare des voyageurs à chaque atterrissage. Toujours pressés, toujours stressés comme si sortir de l’avion en premier allait changer quelque chose à leur vie. Soudain, une voix qui me semble familière m’arrache à mes pensées.
-Je n’y crois pas ! C’est bien toi ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Mon cerveau met cinq secondes à percuter. Souhil, mon-ex Jules, traîne son bagage à roulette dans l’allée de l’avion. Il me sourit un peu étonné. Je le dévisage la bouche en cul de poule.
-Mais… Je te croyais en Finlande ?
– J’ai pris une petite semaine de vacances pour me ressourcer à Djanet et toi ?
-Pareil !
Dans l’allée centrale de l’avion, une queue s’est formée. Le steward demande aux passagers d’avancer vers la sortie.
-Je t’attends, lance Souhil en hâtant le pas.
Je suis chamboulée. Souhil, c’est la dernière personne au monde que je voulais revoir. Cela fait plus de 3 ans que je l’ai perdu de vue. Nous avions vécu une belle histoire. Big love, complicité, projets de vie à deux. Et puis, un jour, il m’a plaquée sans explication. Jetée comme une vielle chaussette. Il a quand même pris la peine de m’envoyer un SMS : Je te rends ta liberté, tu mérites mieux. Et vlan ! La douche écossaise !
Une rupture douloureuse
J’ai essayé de le contacter. Ça sonnait dans le vide. Injoignable, il est resté. J’ai pas mal morflé puis j’ai réussi, grâce à ma psy, à enterrer sa figure, sa voix et tous les souvenirs qui vont avec. Cela m’a pris trois mois et des poussières. Et puis un jour, au hasard d’une rencontre, j’ai appris par un ami commun que Souhil s’était installé en Finlande. Cela ne m’a fait ni chaud ni froid. « Grand bien lui fasse » avais-je rétorqué à son pote.
Je ne pensais pas le revoir un jour, mais comme disait ma grand-mère : « Il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent jamais ». Ironie du sort. Voilà que mon ex ressurgit dans ma vie. Dans l’avion qui vient de me déposer à Djanet, où j’ai programmé quatre jours de vacances, pour recharger mes batteries, moi aussi. Je dois avouer que son regard profond m’a troublée. Je n’aime pas du tout ça.
Les paroles du diable
Je suis la dernière à quitter l’avion. Et si je le pouvais, j’aurais proposé au steward de rester passer l’aspirateur. Je n’ai aucune envie de revoir Souhil. J’ai plus peur de moi que de lui. Je traîne la patte et quand j’arrive devant la sortie de l’aéroport, je le vois qui me guette. « Envoie-le balader tout de suite » m’intime l’ange juché sur mon épaule droite. « Qu’est-ce qu’il est beau ! » me souffle le diable en sautillant sur mon épaule gauche.
-Tu es à quel hôtel ? Interroge Souhil. En renouant son chèche jaune autour du cou.
-J’ai réservé dans une maison d’hôte, le « Marhaba ».
-Non ? Si je te disais que moi aussi ! Le monde est vraiment petit !
Mon cœur s’emballe. J’ai juste envie de tourner les talons et d’attendre le prochain vol. Pas du tout envie d’être à proximité de mon ex. Pourquoi le destin me nargue-t-il ainsi ?
Un chauffeur en 4×4 Jeep nous conduit, avec deux autres touristes, au ‘Marhaba’. Souhil me fait la conversation comme si on s’était quittés la veille. Il me parle de son travail, des fabuleuses aurores boréales de la Finlande et des paquets d’amis qu’il s’est faits depuis qu’il habite au nord. Il me pose très peu de questions sur ma vie actuelle. Il semble euphorique et sûr de lui.
Situation confuse et indécision
La maison traditionnelle est joliment décorée. Des tapis berbères Babar couvrent le sol. Des éléments décoratifs nous rappellent que nous sommes dans la capitale du Tassili n’Ajjer. Une agréable odeur de thé assaille nos narines. Nous sommes chaleureusement accueillis par Lydia. C’est la propriétaire des lieux. Cela fait une dizaine d’années que la quadragénaire a quitté le bourdonnement d’Alger pour investir dans le tourisme. Pendant la saison touristique au grand sud, sa maison ne désemplit pas.
Lydia nous montre nos chambres. Je suis soulagée de constater que celle de Souhil est dans l’autre aile de la maison. Une cour nous sépare. Une grande salle a été aménagée pour les repas. Lydia nous invite à l’y rejoindre pour le dîner, prévu dans une petite heure.
En attendant, je m’étends sur mon lit. J’essaye d’ordonner mes pensées. Que faire : jouer l’indifférence ou exhumer le passé ? Et si Souhil me relançait ? Quelle attitude devrais-je adopter ? L’heure du dîner sonne. La grande tablée est déjà occupée. Il y a deux couples : des Français et des Espagnols. Et puis, il y a Souhil qui me montre la chaise d’à côté.
-J’ai eu le temps de piquer un somme. La journée a été épuisante ! Dit-il en s’étirant.
Entre deux cuillères de couscous et une rasade de ‘l’ben’, il continue à fanfaronner. Il est clair comme l’eau de roche que ce vantard essaye de m’en mettre plein la vue. Sur son téléphone portable, il me montre les photos de sa maison, de son jardin, de son bureau. Il finit par m’agacer avec ses airs suffisants. Je me surprends à me demander comment j’ai pu m’enticher d’une pareille raclure.
Le dîner se termine et je me dépêche de rejoindre ma chambre. L’ange sur mon épaule droite me dit « Je t’avais prévenue ! ». Je souris en me glissant sous les draps. Je mets mes écouteurs. Le Boléro de Maurice Ravel me berce et me prépare à un sommeil profond. Soudain, j’entends un grattement à ma porte. Puis, trois petits coups. Je ne bouge pas. Trois autres petits coups. À pas de loup, je me plaque derrière la porte de ma chambre « C’est pourquoi ? » dis-je. « Ouvre, c’est moi, ton Souhil ! ». Culot au goulot. « Ton Souhil », non mais ! Le diable sur mon épaule gauche me presse « Ouvre-lui, mais ouvre-lui, petite bécasse ». Je rejoins mes draps blancs, remets mes écouteurs et me laisse emporter par les notes de Ravel. Son Boléro est exquis et ma nuit aussi.
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