Ramdaniete : bagarres, accidents, absentéisme, le grand bazar !

Rixes, chapelets d'injures, achats compulsifs, boulimie, nervosité, absentéisme : voilà le spectacle affligeant qui s'offre à nos yeux durant trente jours, chaque année. Par Celia Ouabri

Sous le ciel de notre beau pays, on se croirait soudainement téléporté dans un asile de fous. Mais enfin, y a-t-il un pilote pour stabiliser l’avion ?

Saha F’tourkoum

À peine le pied hors de la maison, le premier voisin croisé nous lance un tonitruant « Saha F’tourek ». Il n’est pourtant que 8 h 30 du matin et Adhan el Maghreb est dans 11 heures ! Sadique, schizophrène, fou, ou les trois à la fois ? Mystère et boule de gomme.

Les recettes de cuisine sont au cœur de toutes les conversations. Au bureau, dans le taxi ou dans la rue, on ne parle que de boustifailles. Manger, grailler, s’empiffrer ! L’unique projet qui anime les esprits durant un mois entier !

Absentéisme

Besoin d’un extrait de naissance ? Direction la mairie. Devant le guichet, une interminable file s’allonge. Wech ? Il est où le problème ? On nous souffle que la préposée à ce service n’est pas encore arrivée. « Soit vous patientez deux ou trois heures, soit vous revenez l’après-midi », nous intime sa collègue du guichet ‘Actes de décès’. Merci pour le conseil !

Fièvre acheteuse

Et si on en profitait pour faire quelques emplettes ? Le marché est bondé de monde. Les chalands jouent des coudes dans les travées, dévalisant les étals. On les croyait ric-rac côté budget, vu les sempiternelles plaintes dues à l’inflation galopante. Que nenni ! « Les gens se plaignent tout le temps d’être sur la jante, mais ils achètent à tour de bras », commente une mère de famille.

C’est le pic de la consommation. La frénésie des achats. Razzia sur les olives, les dattes, les viandes, les fruits (secs et frais). Les commerçants ont les yeux qui pétillent. Les prix, ils les ont montés au plafond une semaine avant le début du Ramadhan. « Les clients, téléguidés par leurs estomacs creux, se font rouler dans la farine comme des pauvres corniauds », s’esclaffent-ils en pensant aux vacances de luxe qu’ils se payeront après l’Aïd.

L’estomac à la place du cerveau

À la boulangerie du coin, encore la chaîne. Les clients ressortent avec des sachets remplis de pains.

  • aux olives ;
  • au ‘sanoudj’ ;
  • aux céréales ;
  • au lait ;
  • long, étoilé, rond.

Tout y passe. Filet de bave à la commissure des lèvres, les chalands raflent aussi kalb ellouz, cigares au miel et autres Khtaïef.

Accidents de voiture et œil au beurre noir

Durant le mois sacré du Ramadan, le nombre d’accidents de la route est en nette augmentation. Le manque de sommeil, de nicotine et de caféine contribue à la baisse de la vigilance chez les automobilistes.

À l’approche de l’heure du ftour, nos routes font office de cercueil. Roulant à tombeau ouvert, les automobilistes appuient sur le champignon afin d’arriver pile à l’heure de la rupture du jeûne. Hélas, au lieu de la chorba, ce sont les pissenlits qu’ils iront manger par la racine. Triste réalité, qui se reproduit chaque année, en dépit des multiples campagnes de prévention.

Bagarres, injures, colères  

À chaque coin de rue, les mêmes scènes d’empoigne se répètent. Les jeûneurs fulminent, s’enflamment, et éructent. Bagarres et bordées d’injures pour la moindre peccadille. Justement, ce matin, deux individus, la quarantaine bien amorcée, en viennent rapidement aux mains pour une place de stationnement.

« Je l’ai vue le premier ! » vocifère l’un. « Espèce de menteur en plein Ramadan. C’est la mienne », insiste le second, qui s’échappe de l’habitacle de sa voiture pour flanquer une bonne raclée au « voleur de places ». Heureusement, les passants les séparent en héritant de quelques coups au passage.

Fâchés avec le dentifrice ?

De nombreux jeûneurs semblent fâchés avec la pâte dentifrice durant le mois sacré. En ouvrant la bouche, l’odeur pestilentielle d’Oued El Harrach envahit l’atmosphère. Haleine fétide au possible. Vite ! Un masque à oxygène pour ne pas perdre connaissance. D’autres se souviennent à peine de l’existence du déodorant. La combinaison des deux odeurs, haleine et transpiration, vous promet une sacrée journée !

Nervosité, disputes, insultes, achats compulsifs, gaspillage, spéculation, paresse, improductivité s’emparent des jeûneurs chaque année. Ce mois sacré, censé être synonyme de spiritualité et de charité, est vidé de tout son sens à cause de ces comportements bizarres. Et si on faisait preuve d’un peu plus de sagesse ?