L’auteur du ‘’Projet de Gilgamesh’’ est donc arrivé en octobre de la même année à Alger où il est resté un mois à déambuler dans les rues de la ville à la découverte de ses habitants et de leurs habitudes. Cela dit, Štěpán n’est pas arrivé les mains vides.
« La plus grande leçon de Don Quichotte ; l’ingénieux derviche Sidi Ahmed Ibn Engeli et le soldat Saavedra »
En effet, le conteur d’histoire qu’il est a ramené dans ses valises le roman qu’il venait de publier en République Tchèque ‘’La plus grande leçon de Don Quichotte’’. Commence alors pour lui une double aventure algéroise, l’une réflective et l’autre éditoriale, car s’il voulait que son livre soit publié en Algérie, il fallait le traduire. C’est donc avec le concours de l’ambassade et le sens de l’aventure des éditions Frantz Fanon qu’il a commencé la traduction de ce livre au titre intrigant.
À vrai dire, le titre entier est encore plus obscur : « La plus grande leçon de Don Quichotte ; l’ingénieux derviche Sidi Ahmed Ibn Engeli et le soldat Saavedra », à croire que Kučera voudrait concurrencer Defoe sur la longueur du titre.
Mais que raconte ce livre ?
Il ne s’agit nullement ici d’une leçon de littérature sur le plus grand auteur du XXe siècle, mais plutôt un conte écrit à la façon des anciens contes arabes. Štěpán Kučera y raconte l’histoire d’un derviche qui, lassé de lire des récits de voyages, décide d’acheter une chamelle nommée Sérendipité, de prendre le livre de voyage d’Ibn Batouta dans ses bagages et d’aller explorer le monde de ses propres yeux. Chaque aventure, où plutôt mésaventure, qu’il vit est une histoire à part entière dans le roman. Ce sont donc toutes ses histoires imbriquées les unes dans les autres qui donnent au roman son côté livre de contes que l’on ne se lasse pas de feuilleter.
Un roman original à plusieurs égards
En parallèle, le soldat Saavedra est en captivité à Alger. À cette époque, la ville grouille de pirates, de belles demoiselles, et de gens de différentes nationalités et d’autant de langues. Alger à cette époque n’avait rien à envier à l’Europe d’aujourd’hui. Comme quoi…
Lorsque le derviche demande à Saavedra, qui n’est autre que Cervantès lui-même, de traduire le récit de ses voyages en espagnol, ce dernier lui fait remarquer qu’il ne parle pas l’arabe. Alors le derviche décide de lui raconter son histoire.
Ce roman tient son originalité de plusieurs points : tout d’abord, sa thématique même. L’auteur ne s’est pas facilité la tâche en adoptant une réflexion en arborescence, les ramifications d’idées tirent leurs racines des récits archaïques pour servir une histoire très actuelle. Ensuite, il y a la structure narrative qui s’articule autour de trois axes distincts, mais entrelacés : Sidi Ahmed, Saavedra, et le narrateur discret qui introduit l’histoire et la clôt. Ce dernier interrompt le récit en plein milieu pour introduire une interview avec une spécialiste de Cervantès, cette partie offre les éléments clés à la lecture du roman et surtout à remettre en leur contexte beaucoup d’informations données dans le livre. Car si l’on est tentés de croire que cette histoire est ancienne, on sera surpris de constater son actualité criante que le lecteur ne découvre qu’à la toute fin du roman. Encore faut-il que l’on se souvienne de la grande leçon qui y est enseignée.
Štěpán Kučera, un passionné pour des contes et des récits anciens
À la lecture de ce roman, nous nous rendons rapidement compte de la passion de Štěpán Kučera pour les contes et récits anciens. Par exemple, lorsque Sidi Ahmed prend la parole, la tradition orale prédomine dans le texte, tout est exprimé en énigmes et en métaphores. La poésie y coexiste avec la prose, conférant au texte une esthétique mystique. Ce mysticisme se reflète également dans les arabesques, les petits clichés textuels que l’auteur a rédigés sur Alger durant sa résidence.
Intitulé Arabesques Algéroises », le recueil de textes, de poèmes, de contes et de notes d’humeur que Štěpán Kučera a écrit durant sa résidence porte un regard frais sur la ville. N’ayant que peu ou pas de connaissances du pays, l’auteur n’avait d’autre choix que de se faire sa propre idée de ce chaos organisé qu’est la capitale algérienne. Le choc des deux cultures aboutissait par moments à des scènes complètement surréalistes et à des rencontres complètement improbables.
Pour donner une dimension visuelle à ses textes, l’écrivain tchèque a fait appel à l’artiste photographe Sara Birem. Ainsi, Alger est rendue plus vibrante, plus vivante aux yeux de quelqu’un qui ne l’a jamais vue.
Lors du SILA 2023, Štěpán Kučera est revenu fièrement en Algérie pour signer son roman « La plus grande leçon de Don Quichotte », désormais disponible aux éditions Frantz Fanon en Algérie et aux éditions Altava en France. Espérons que ses autres livres soient également traduits chez nous, afin que nous puissions découvrir cette littérature ô combien intéressante, mais dont nous savons si peu.
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