Une commémoration ancestrale en rapport avec la vie agraire. Selon la croyance, les Berbères avaient entrepris d’accueillir le jour de l’An par des rituels symboliques, pour implorer la clémence de dame nature et se préserver ainsi de la sécheresse, de la famine, des épidémies et de toute autre catastrophe.
Le jour de Yennayer, un repas spécial est préparé dans toutes les chaumières. En cette circonstance de convivialité et de communion, les femmes s’activent aux fourneaux. Au menu, un couscous, habituellement accompagné d’une sauce à la viande de poulet et de légumes secs – lentilles, pois chiches, pois cassés… -, symboles d’abondance, de richesse et de prospérité.
Depuis l’Antiquité, les Berbères marquent cette fête d’une pierre blanche. Le premier jour de l’an du calendrier agraire ne saurait ressembler aux autres. S’il est vrai que les rites diffèrent, quelque peu, d’une région à une autre à travers notre vaste pays, la symbolique reste toutefois la même. Une tradition qui se perpétue encore de nos jours, dans l’esprit de conjurer le sort, d’éloigner les calamités, d’avoir une bonne récolte et une année prospère.
Imensi N’Yennayer
Autrefois, tout comme aujourd’hui, dès que cet invité de marque s’annonce, c’est le branle-bas de combat. Notamment, en Kabylie et dans les Aurès, où l’on s’affaire à nettoyer la maison de fond en comble. Dans certaines régions comme le Chenoua (Tipasa), on y prépare du bon pain à base d’herbes sauvages.
La veille du jour J, proscription absolue de cuisiner des plats piquants ou amers. Le lendemain, 12 janvier, un copieux couscous réunit tous les membres de la famille autour de la meïda. Un méga couscous arrosé d’une sauce à base de légumes secs (fèves, pois-chiches, haricots blancs, pois cassés, lentilles, fèves concassées «avissar») et, bien sûr, l’immanquable volaille qui trône au centre de la table. «À qui égorge une bête à plume, je garantis sa substance», rappelle un proverbe berbère.
Pour attirer la corne d’abondance dans leur foyer, de nombreuses familles sacrifiaient un coq. Comme le veut la tradition, la maîtresse de maison n’omettait jamais de disposer des cuillères dans la «djefna» en bois, en l’honneur des absents : filles mariées, fils en exil…
«Aâssass el harra» (âassas eddar) était aussi pris en considération. Pas question de se fâcher avec les forces occultes et attirer la malédiction. Pour respecter le rituel, les femmes dispersaient un peu de nourriture dans le métier à tisser (azzeta), dans la meule à grains (tassir’t), au seuil de la porte, et même au centre du feu (kanoun). Les femmes préparent aussi des sfendj (beignets). Le levain contenu dans la pâte symbolise «el kheir», abondance et prospérité. Tous ces gestes ancestraux invoquent bénédiction, protection et bonheur.
La légende de laâdjouza et yennayer
La fête de Yennayer est célébrée différemment à travers notre pays. À titre d’exemple, les Touareg nomades marquent le Nouvel An berbère ou Tafaski en tamasheq, avec le Tindi. Des chants et des danses en rapport avec la thématique de la terre sont alors majestueusement exécutés. Yennayer, c’est aussi l’occasion d’opérer certains gestes, comme la première coupe de cheveux des petits garçons, ou accomplir l’initiation agricole des enfants…
On raconte qu’une vieille femme s’était aventurée dans les montagnes par une belle journée ensoleillée, en hiver. Persuadée que la saison du froid et de la pluie avait enfin plié bagage, elle se mit à se moquer de lui. Furieux, Yennayer supplia «Fourar» (février) de lui prêter un jour de plus pour lui régler son compte à cette harpie et lui montrer de quel bois il se chauffait. Il fit alors souffler une bourrasque glaciale et déclencha une terrible tempête qui emporta la pauvre «aâdjouza» dans l’au-delà. Depuis, Yennayer est aussi appelé «Laâdjouza».
Une tradition ancestrale
De nos jours, les Algériens continuent à célébrer la fête de Yennayer tous les 12 janvier. Plus de «kanoun», de métier à tisser ou de meule à grains, certes, mais l’esprit de cette fête millénaire est toujours présent. Chaque année, à l’approche de cette date, les étals des marchés ploient sous le poids d’un assortiment multicolore de friandises, le fameux trize, mélange de fruits secs, bonbons et petits chocolats.
Fatima, 56 ans, quatre fois grand-mère, tient à perpétuer cette tradition. «Dans mon enfance, ‘‘Djedda’’ préparait, pour chaque enfant, une mona garnie d’un œuf au milieu. Maintenant que j’ai des petits, je reproduis le même rituel.
Après le couscous garni de poulet et d’un large éventail de légumes secs, je dispose, sur la grande table, le grand plat rempli de noix, de dattes, de figues sèches, cacahuètes, bonbons, chocolats, pacanes, pistaches, amandes, noix de cajou, etc. Puis, dans une ‘‘guess’aâ’’, on accueille le dernier-né de la famille, qui reçoit une pluie de friandises sur la tête.
Un rite ancestral, mais toujours sauvegardé pour perpétuer nos bonnes traditions, et pourquoi pas, éloigner, peut-être, le mauvais œil, et attirer la bénédiction sur nous. La fête de Yennayer demeurera toujours le témoin de nos racines et de notre patrimoine. C’est un legs culturel à transmettre aux futures générations !», assure-t-elle.
Force est de constater que l’ère de la modernité n’a pas réussi à tout éclipser. En tout cas, pour les Algériens, le Nouvel An se conjugue au pluriel. Ils tiennent encore énormément à Yennayer, Awel Muharram et au Nouvel An du calendrier grégorien. Une richesse multiculturelle à transmettre aux futures générations. Assegas Ameggaz !
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